1945 – 1975 (L’histoire de RFI)

RFI dans le tourbillon de la guerre froide et des décolonisations

De Gaulle victorieux a bien compris le pouvoir de la radio. Dès son arrivée au pouvoir, en 1945, il réquisitionne les radios publiques et privées. L’objectif ? Imposer la place de la France au sein de ce monde d’après-guerre en pleine reconstruction. C’est Philippe Desjardins, ancien de Radio Brazza, qui prend la tête de ce qu’on appelle maintenant « les Emissions vers l’étranger », face à la concurrence montante de la BBC et de Voice of America.

La guerre des ondes perdure et se transforme, en fonction des enjeux de l’après-guerre : depuis les Champs Elysées, la radio émet en 20 langues et s’adresse à 46 pays. Grâce à trois émetteurs de 150 kw chacun, la transmission est bonne et les diffusions peuvent être lointaines. L’Espagne, dernier refuge du fascisme européen, est particulièrement visée. Alors que la guerre froide s’installe, « les Emissions vers l’étranger » affinent leur cible mais le gouvernement diminue leur budget.

Une commission, surnommée la « commission de la hache », décapite ainsi sept langues : la rédaction scandinave, mais aussi yougoslave, slovène, bulgare et roumaine disparaissent pour un temps. L’objectif est désormais de s’adresser aux habitants du bloc soviétique. Tout est bon pour attirer leur attention. En 1951, la rédaction polonaise diffuse la messe tous les dimanches, alors que les célébrations religieuses sont réprimées dans la Pologne communiste. Quand Budapest s’enflamme en 1956, la diffusion en langue hongroise est augmentée pendant plusieurs mois.

La guerre d’Algérie et les émissions en langue arabe et berbère

Pour parler aux colonies, appelées à prendre leur indépendance depuis la conférence de Brazzaville en 1944, on imagine une autre branche car le monde s’agite aussi en dehors du bloc communiste. En 1954, la guerre d’Algérie éclate. Le pouvoir français veut s’adresser davantage à ce Maghreb enflammé : une rédaction en arabe et en berbère à part entière est créée. Elle rivalise avec les indépendantistes algériens, qui depuis le Caire, Tunis, Bagdad et Tripoli, diffusent sur les ondes des appels à rejoindre le FLN.  

Ce sera Pierre-Yves Morvan qui dirigera ces émissions. Il insiste sur le professionnalisme de la rédaction : dans un climat si troublé, une posture si délicate, il mise tout sur l’objectivité journalistique. Mais à une époque où les médias publics sont encore aux ordres du gouvernement, difficile d’échapper aux pressions politiques : les commentaires accompagnant les journaux suivent la ligne officielle ; une émission, « La Voix du Bled », est animée chaque semaine par deux capitaines de l’armée, et si les présentateurs parlent arabe, ils ne font que traduire et mettre en voix les contenus préparés par la rédaction en français.

Donner de l’information à ceux qui en manquent

La radio se tient néanmoins à un principe : « donner de l’information à ceux qui en manquent. » Pour continuer à émettre dans les pays du bloc de l’Est, l’antenne s’adapte et serpente entre les pressions des gouvernements et du KGB. Les mots sont soigneusement choisis pour éviter les incidents diplomatiques. Même les émissions de cuisine diffusées en RDA sont méticuleusement préparées : pas question d’évoquer un aliment indisponible sur le marché local.

Mais avec la fin de la guerre d’Algérie et l’indépendance des anciennes colonies, l’intérêt accordé par le gouvernement aux Emissions vers l’Etranger décline. Leur volume de diffusion diminue, tout comme leur financement. Malgré sa longue histoire, la radio française ne se classe plus qu’au 17ème rang des radios internationales.

Pour évaluer l’impact des ondes courtes, et détromper ceux qui suggèrent que le public n’est pas au rendez-vous, la radio imagine l’opération « Rose des Vents ». Les présentateurs demandent aux auditeurs de leur envoyer des lettres… Et c’est un succès ! En peu de temps, 45 000 lettres arrivent du monde entier à la rédaction.

Après 1968, le rapport entre le gouvernement et les médias publics change. La bride se relâche. Les Emissions vers l’étranger, intégrées à l’ORTF, changent une nouvelle fois de nom, et d’objectif. Joliment rebaptisées « Direction des Affaires extérieures de la Coopération », la DAEC pour les intimes, elles se tournent résolument vers le continent africain. Mais la trêve est de courte durée : en 1973, 14 des 17 rédactions de langues sont supprimées. 100 journaliste sur 157, licenciés. RFI naît dans la douleur.

Le projet fou de la Sorafom
En 1955, alors que les décolonisations se profilent, Pierre Schaeffer lance une initiative extraordinaire : il fonde un studio-école à Maisons-Laffitte pour former les futurs journalistes africains. Ils doivent être les « accoucheurs » de leurs concitoyens et fonder des radios locales indépendantes dans leurs pays respectifs pour enfin libérer l’information de l’influence coloniale. La Sorafom est née. Les « stagiaires » y apprennent à tout faire : l’éditorial bien sûr, mais aussi la technique et la production. Ils s’entrainent, comme les étudiants des écoles de journalisme actuelles, à couvrir l’actualité locale de Maison Lafitte. Bientôt, ils partent dans leurs pays respectifs, et créent des radios dans les actuels Tchad, Centrafrique, Niger, RDC…